L’histoire du crédit et du prêt d’argent est l’un des récits les plus complexes et fascinants de l’évolution économique humaine. Elle montre comment des pratiques initialement rudimentaires d’emprunt et de prêt ont progressivement donné naissance à des systèmes financiers sophistiqués, façonnés par les valeurs culturelles, les innovations techniques, les défis économiques, et les besoins des sociétés. Voici un développement plus approfondi des étapes clés, avec un accent sur les mécanismes, les acteurs, et les répercussions du crédit dans différentes époques de l’histoire.
1. Les Premiers Systèmes de Crédit et de Prêt : Mésopotamie, Égypte et Monde Antique
- Systèmes de prêt dans la Mésopotamie antique : Dans l’une des premières civilisations humaines, celle de Mésopotamie, les pratiques de prêt se sont développées autour de l’agriculture et des cycles de récolte. Les agriculteurs, soumis aux caprices de la météo, avaient besoin de fonds pour semer, nourrir leurs familles, et payer les impôts imposés par les royaumes. Des tablettes d’argile retrouvées à Sumer et à Babylone témoignent de prêts de grains ou de bétail, inscrits dans un langage administratif très précis. En retour, les débiteurs devaient rendre le grain ou le bétail prêté, avec un surplus en guise d’intérêt, souvent calculé en fonction des cycles de récolte.
- Le Code d’Hammurabi : un cadre juridique : Hammurabi, roi de Babylone, établit un des premiers systèmes de lois formalisées, vers 1750 av. J.-C., dans le Code d’Hammurabi. Ce code, gravé sur des stèles de pierre, régulait notamment le crédit, en imposant des plafonds sur les taux d’intérêt et des règles de remboursement. Par exemple, si une récolte était détruite par des intempéries, l’intérêt pouvait être suspendu pour protéger l’emprunteur. Le code comprenait également des dispositions pour le rachat d’esclaves endettés, ce qui montrait une sensibilité précoce aux excès du crédit.
- Égypte ancienne : le rôle des temples : En Égypte, les temples jouaient un rôle essentiel dans l’économie. Ils servaient de centres de dépôt pour les ressources et de points d’émission de crédit. Les prêtes supervisaient les prêts d’objets et de grains aux agriculteurs locaux. Ces transactions avaient souvent lieu sans argent, mais plutôt en nature, avec des accords sous la protection des dieux. L’Égypte antique est un exemple de société où la religion et l’économie étaient profondément interconnectées dans les pratiques de crédit.
- Grèce et Rome : expansion des pratiques de crédit : La Grèce antique introduit un aspect commercial dans le crédit avec le développement des prêts maritimes. Ces prêts s’inscrivaient dans le cadre du commerce maritime risqué, car les marchandises étaient souvent perdues en mer. En réponse, des systèmes de crédit spéciaux basés sur le risque se sont développés : le créancier n’était payé que si le navire arrivait à bon port, une forme précoce d’assurance. À Rome, les pratiques de crédit sont intégrées dans le système juridique. Les prêteurs, ou argentarii, tenaient des registres précis des dettes, et les lois romaines permettaient de poursuivre un débiteur en justice en cas de défaut de paiement. Toutefois, les taux d’intérêt étaient encadrés pour limiter les abus, ce qui montrait une régulation déjà avancée du système de crédit.
2. Moyen Âge : Interdiction de l’usure et Émergence de Nouveaux Systèmes de Crédit
- L’interdiction de l’usure par l’Église : Au Moyen Âge, l’Église catholique, dominante en Europe, interdit l’usure, soit le fait de prêter de l’argent contre intérêt. Cette interdiction était fondée sur la morale chrétienne, qui considérait que l’argent ne devait pas « faire de petits » sans travail réel. Cette vision limitait le développement des prêts à intérêt et faisait du prêt d’argent un tabou dans la société chrétienne. Cependant, dans une économie de plus en plus dynamique, notamment grâce aux foires commerciales et au commerce international, le besoin de crédit restait fort.
- Les prêteurs juifs et la survie du crédit : La communauté juive, souvent exclue des guildes chrétiennes et des métiers artisans, s’est vue reléguée au rôle de prêteurs d’argent dans de nombreuses régions européennes. Cette activité était perçue comme un moyen de subsistance, bien que cela ait souvent alimenté des préjugés et des tensions antisémites. Les prêteurs juifs fournissaient des fonds aux paysans, artisans, et marchands, et jouaient un rôle crucial dans le développement des petites et moyennes entreprises. En contrepartie, ils étaient souvent victimes de restrictions et de discriminations, mais leur présence a permis à l’économie médiévale de continuer à se financer malgré l’interdiction chrétienne de l’usure.
- Les Monts-de-piété : une solution chrétienne : En Italie, les moines franciscains, dans le but de lutter contre la pauvreté et l’exploitation des plus vulnérables, créent les premiers monts-de-piété au XVe siècle. Ces institutions offraient des prêts garantis contre le gage d’objets de valeur, mais sans intérêts excessifs. Ce modèle, visant à fournir un crédit social à taux bas, s’est étendu dans toute l’Europe et est considéré comme un précurseur des caisses d’épargne modernes. Les monts-de-piété ont fourni une alternative éthique au crédit commercial et ont popularisé l’idée de prêts pour tous, avec des garanties limitées.
- Les lettres de change et les premières banques : Les commerçants italiens développent également des lettres de change, un instrument financier permettant de transférer des fonds entre différentes villes sans transporter d’argent liquide. Ces lettres sont les ancêtres des chèques et permettent aux marchands de mener des transactions sécurisées à distance. À Venise, Florence, et Gênes, les premières banques commerciales voient le jour, souvent contrôlées par des familles influentes comme les Médicis, et fournissent des prêts aux commerçants et même aux monarques européens.
3. L’ère Moderne : Naissance des Banques Centrales et Expansion du Crédit
- Les premières banques centrales et la dette publique : Au XVIIe siècle, les gouvernements européens commencent à recourir aux emprunts pour financer leurs guerres et leurs projets d’infrastructure. En 1694, la fondation de la Banque d’Angleterre marque le début des banques centrales. Cette banque prête de l’argent au gouvernement en échange d’obligations, créant une dette publique. Les investisseurs commencent à acheter ces obligations, introduisant un nouveau modèle d’investissement basé sur la confiance dans l’État. Ce modèle encourage l’expansion de l’emprunt d’État et sert de levier financier pour les nations européennes.
- La Révolution industrielle et le besoin de financement : Au XIXe siècle, la révolution industrielle bouleverse l’économie. Les besoins en capitaux augmentent considérablement, car il faut financer des usines, des réseaux de transport et de nouvelles technologies. Les banques deviennent alors des institutions indispensables pour canaliser l’épargne vers les entreprises industrielles. Des innovations telles que les actions et les obligations permettent aux entreprises de lever des fonds auprès d’un large public. Les banques commerciales et d’investissement, comme Rothschild et Baring Brothers, financent des projets gigantesques et deviennent des acteurs clés de l’économie.
- L’expansion du crédit hypothécaire : En parallèle, le crédit hypothécaire se développe, facilitant l’accès à la propriété pour un nombre croissant de ménages. Les banques créent des produits financiers adaptés, comme les prêts à long terme garantis par les biens immobiliers. Cette expansion du crédit hypothécaire transforme la société, permettant à de plus en plus de personnes de devenir propriétaires et d’accéder à un capital immobilisé. Cela pose également les bases d’un modèle économique centré sur la consommation, où la propriété est encouragée par le crédit.
L’argent, ce n’est ni bien ni mal, c’est neutre, l’argent ! Edith Cresson
4. XXe Siècle : L’Essor du Crédit de Masse et de la Société de Consommation
- La Grande Dépression et la régulation du crédit : La crise de 1929 et la Grande Dépression mettent en évidence les risques d’un crédit non régulé. La spéculation excessive et les emprunts incontrôlés conduisent à une déflation massive et à la ruine de millions de personnes. Aux États-Unis, le gouvernement de Roosevelt introduit des réformes comme le Glass-Steagall Act, séparant les activités bancaires commerciales et d’investissement. Ces réformes visent à stabiliser le système financier et à protéger les consommateurs.
- Le boom économique d’après-guerre et l’expansion du crédit à la consommation : Après la Seconde Guerre mondiale, la demande de biens de consommation explose, et le crédit devient un outil pour répondre aux besoins des ménages. Les banques introduisent des prêts personnels, des crédits pour l’achat de voitures, et des cartes de crédit dans les années 1950. La carte Diners Club, puis American Express, révolutionnent les habitudes de consommation en offrant un accès au crédit instantané. Ce modèle s’élargit avec les cartes bancaires comme Visa et MasterCard, qui démocratisent l’accès au crédit.
- Prêts hypothécaires et société de propriétaires : Dans les années 1970 et 1980, le crédit immobilier devient accessible à des millions de ménages. Cette politique d’accession à la propriété transforme les villes et contribue à l’urbanisation rapide. Le crédit hypothécaire est un moteur économique majeur, mais il repose sur des cycles économiques qui peuvent être fragiles, comme l’a montré la crise des subprimes en 2008.
5. XXIe Siècle : Technologie, Crises et Nouveaux Modèles de Crédit
- Révolution numérique et FinTechs : Les innovations numériques bouleversent le monde du crédit. Les FinTechs introduisent des solutions de crédit en ligne, comme le prêt entre particuliers, le microcrédit pour les entrepreneurs, et le crédit rapide, accessibles depuis un smartphone. Ces plateformes démocratisent l’accès au crédit en contournant les institutions bancaires traditionnelles, mais posent aussi des défis en termes de régulation et de sécurité.
- Crise financière de 2008 : les dangers du crédit excessif : La crise des subprimes met en lumière les risques d’un crédit trop facilement accessible et mal régulé. Les prêts hypothécaires risqués, combinés à la titrisation des dettes, déclenchent une crise mondiale. Depuis, les régulations financières ont été renforcées, mais la question du surendettement et de la régulation reste centrale.
- Cryptomonnaies et finance décentralisée (DeFi) : Les cryptomonnaies et la blockchain introduisent de nouveaux moyens de financement en dehors des systèmes bancaires traditionnels. Les plateformes de DeFi permettent aujourd’hui d’emprunter et de prêter des cryptomonnaies, introduisant des modèles de crédit totalement décentralisés. Ces innovations posent de nouvelles questions de sécurité, de volatilité et de régulation, mais elles offrent aussi des possibilités d’inclusion financière dans les régions du monde sous-bancarisées.
Conclusion : Une Histoire d’Évolution et de Défis Permanents
Le crédit a traversé les âges, évoluant avec les sociétés humaines et s’adaptant aux besoins des individus et des États. Aujourd’hui, il est un pilier de l’économie moderne, facilitant la consommation, l’investissement et la croissance. Les innovations technologiques ouvrent de nouvelles perspectives pour l’accès au crédit, mais elles impliquent également une responsabilité accrue pour garantir que le crédit reste un outil bénéfique, sans risquer de compromettre la stabilité économique et sociale.